jardinnom masculin(ancien français gart ou jart, du francique g


BEAUX-ARTSPrétexte à un art de la précarité, à un art vivant, le jardin est un lieu de mémoire dynamique qui a une place toute particulière dans l'imaginaire. Il exprime la façon dont un groupe humain, dans des conditions historiques données, s'appréhende lui-même, définit ses conditions d'existence, se situe par rapport à la nature.Du paradis des Perses au verger de l'Occident médiéval, l'art des jardins ne se comprend qu'à l'intérieur de chaque société. Fondamentalement hétérogène, il résulte de l'interaction entre les cultures et se définit par rapport aux autres activités humaines, comme la chasse et l'agriculture, dont il essaie de se démarquer. Si le jardin garde quelque chose de l'une (comme pour le potager, le goût pour la production d'aliments, d'aromates) et de l'autre (le parc et l'attrait du sauvage), il est avant tout le lieu d'une activité érotique, esthétique et, en définitive, symbolique : le jardin de Genji est un acte d'amour, le pairidaiza persan est un jardin des délices, et le White Garden de Sissinghurst Castle, la représentation symbolique d'un monde immaculé jamais vu antérieurement.La question est de savoir dans quel contexte culturel le jardin est considéré comme une œuvre d'art et quelles sont les relations que celle-ci entretient avec la vie matérielle, sociale et spirituelle de son époque.Les jardins orientauxLes jardins de la Perse antiqueLes premiers parcs paysagers européens sont conçus dans les années 1710 en Angleterre par l'architecte, peintre et décorateur William Kent, notamment à Chiswick, Rousham et Stowe. Le jardin « anglo-chinois », ou « à anglaise », connaît ensuite une grande vogue sur le continent, où succède à la rigoureuse géométrie des jardins à la française un « naturel » d'allées tortueuses, de pelouses ondulées, de ruisseaux serpentant, de pièces d'eau aux formes qui semblent dues au hasard.Pour les « fabriques » (des éléments architecturaux) qui agrémentent ces parcs, le goût est aux ruines antiques ou gothiques, aux pyramides égyptiennes, aux pagodes chinoises, aux kiosques ottomans, aux pittoresques chaumières. Il en est ainsi dans le parc conçu pour Marie-Antoinette autour du Petit Trianon, où Hubert Robert – peintre des ruines que sa sensibilité a conduit à être le paysagiste des parcs de Betz et de Méréville – crée la grotte des Bains d'Apollon (1778-1780), et Richard Mique un temple de l'Amour, une laiterie et le célèbre Hameau de la Reine (1783-1786).Le jardin publicLe XIXe s. voit la naissance d'autres jardins modernes : les parcs urbains, tel le parc des Buttes-Chaumont, à Paris, mais aussi Central Park à New York. La création de ces parcs-jardins traduit le passage d'une conception esthétique à une conception fonctionnelle dans le cadre d'un renouveau urbain. Cette période est aussi dominée par l'opposition chronique entre tenants de l'horticulture décorative, agriculture de pointe, et ceux du sauvage, du wild garden, héritier des parcs anglais.L'horticulture est, dès ses débuts, le secteur de l'agriculture le plus orienté vers le progrès. Elle élabore de nouvelles techniques qui modifient l'art des jardins, et ouvre la voie à une consommation ostentatoire de plantes hybrides et de plants acclimatés. Fait sans précédent, la mode entre dans le jardin avec les roses modernes – comme celles peintes par Pierre Joseph Redouté entre 1817 et 1824 – ou le dahlia, dont les nuances infinies, le bleu excepté, permettent de changer de parure chaque année et d'instaurer, dans le jardin moderne, le culte du nouveau, de la jouissance dans l'instant. À partir du milieu du XIXe s., l'horticulture se fait ornementale. Les plantes commencent à être produites dans des serres et, lors de leur floraison, à être disposées, massées par espèce et par couleur, dans les figures des plates-bandes. Les contrastes de couleurs, tels ceux proposés par Eugène Chevreul (De la loi du contraste simultané des couleurs, 1839), dominent. Le jardin devient un art décoratif qui connaît au XXe s., une vogue considérable avec, dans les années 1930, Jean-Claude Nicolas Forestier, André et Paul Véra, Gabriel Guévrékian ou Christopher Tunnard et, en relation avec l'art abstrait, les réalisations de Geoffrey Jellicoe – coauteur de l'une des références essentielles de l'art des jardins, The Oxford Companion to Gardens (1986).La première opposition, et la plus virulente, à cette orientation est celle de William Robinson, qui refuse le formal planting, l'application stricte des techniques horticoles, et prône le wild garden, le respect des lois de la nature. Il concilie la tradition du sauvage avec celle du vicarage garden, le jardin de curé. Dans sa revue The Garden, Robinson fait appel, en ce qui concerne la couleur, à Gertrude Jekyll (1843-1932). À l'orée du XXe s., cette artiste a donné au jardin les règles de son coloris, créé des couleurs, et dépassé l'opposition entre horticulture et sauvage en mêlant librement, dans ses mixed borders, les plantes vivaces rustiques à celles venues de l'horticulture.Tendances récentesArt vivant, le jardin demeure le lieu de bien des tentations, dont deux prédominent.La première, devant les ruines du jardin, est de les sauver, de tenter de recoller les morceaux, de retrouver les vestiges des systèmes anciens : le jardin est un monument historique à classer, à préserver, à entretenir, à faire visiter. La charte de Florence (21 mai 1981) donne un cadre légal et international à cette tentative de sauvetage. Dès le début du XXe s., des résultats remarquables ont été obtenus, notamment par Achille et Henri Duchêne à Vaux-le-Vicomte, Champs-sur-Marne et Courances, ou par le docteur Joachim Carvalho, au château de Villandry, avec ses parterres bordés de buis et son jardin potager restitué selon son ordonnance du XVIe s.L'autre tentation, écologique, est d'inventer des jardins dans des lieux abandonnés par l'agriculture (ou l'urbanisme), les friches, et de retrouver là des affinités biologiques, de s'adonner à des associations naturelles. Le jardin écologique (comme ceux de Gilles Clément dans la Creuse, ou de Mark Rudkin pour la fondation américaine de Blérancourt) est celui de la sélection naturelle régulée par l'homme. Il résulte de la gestion du rythme rapide des apparitions et des disparitions végétales et tend vers le climax, niveau optimal de la végétation. Il est jardin en mouvement. Ces tentations rappellent toute l'épaisseur esthétique, la complexité de la nature, le caractère irréductible de la réalité du jardin. Elles ont le mérite de vouloir redonner vie à un jardin qui ne se résout pas à devenir un simple mirage. Le jardin entend demeurer une oasis pour l'imaginaire.
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