antisémitisme

nom masculin Doctrine ou attitude systématique de ceux qui sont hostiles aux juifs et proposent contre eux des mesures discriminatoires.

IntroductionPeu après la guerre franco-allemande de 1870 paraissent en Allemagne, presque simultanément, deux ouvrages. Le premier, Juif du Talmud (Talmudjude, 1871), écrit par le chanoine Auguste Rohling, professeur à l'université impériale de Prague, connaît un prodigieux succès grâce notamment aux polémiques que suscitent les erreurs et les faux dont il est truffé. En 1885, Auguste Rohling est condamné pour diffamation, ce qui l'oblige à quitter sa chaire mais n'empêche pas en 1889 trois traducteurs différents de publier en France trois versions de l'ouvrage. Le second livre, la Victoire du judaïsme sur le germanisme (Der Sieg des Judentums über das Germanentum), est dû à l'homme que l'on crédite de l'invention du terme d'antisémitisme, Wilhelm Marr. Il paraît en 1873 et connaît un succès immédiat : pas moins de dix éditions dans les années qui suivent. Comme le note l'historien de l'antisémitisme Léon Poliakov, « si le catholique Rohling, épigone de l'antijudaïsme chrétien sous sa forme la plus sanguinaire, représente le passé, l'ex-socialiste Wilhelm Marr, qui transpose le débat sur le terrain racial, annonce l'avenir ». La fin du XIXe s. connaît donc une inflexion, voire une mutation de l'antisémitisme. Phénomène enraciné principalement dans le christianisme, il se mue en idéologie qui postule l'existence d'une « race » juive.Des origines incertainesL'antisémitisme est-il aussi ancien que le judaïsme lui-même ? Naît-il quand le christianisme se différencie d'avec le judaïsme pour devenir une religion autonome ? Les historiens en débattent. Certains, comme Léon Poliakov ou Jules Isaac, tiennent pour assuré que l'antisémitisme naît avec le christianisme, qu'il en est un produit. D'autres insistent au contraire sur la permanence d'actes ou de propos hostiles envers les Juifs, dont la trace se trouve notamment dans la Genèse en ce qui concerne les Égyptiens, ou dans le livre d'Esther pour ce qui est de la situation des Juifs dans la Perse du Ve s., et de la tentative, qui échoue, de les éliminer.En dehors des écrits scripturaires (de l'Écriture sémite), un petit nombre de textes témoigne de la réalité de l'antisémitisme dans l'Antiquité préchrétienne. Les Juifs vivent alors, et ce dès le VIIIe s. avant notre ère, dispersés dans un vaste espace qui ne cesse de s'étendre. En effet, la diaspora, mot grec qui signifie « dispersion », est largement antérieure à la prise de Jérusalem par Titus, en 70, et à la destruction du second Temple. À cette date, il est probable que 5 à 6 millions de Juifs vivent dans quelque 500 localités sur tout le pourtour de la Méditerranée, dont 1,5 million en Palestine. L'hostilité dont ils sont l'objet prend alors pour cible leurs pratiques religieuses particulières : le refus de manger de la viande de porc, le respect du repos du shabbat, la circoncision, marque de l'Alliance avec Dieu faite dans la chair du garçon le septième jour après sa naissance, et surtout leur monothéisme. Ce peuple est considéré, dans le système religieux romain, comme « impie » et comme asocial. Comme le note le grand historien Salo W. Baron, « il n'est presque pas une note de la cacophonie antisémite médiévale et moderne qui ne soit déjà perceptible dans le chœur des écrivains anciens ».Le christianisme introduit pourtant une première rupture décisive. Il est en effet fondé par le Juif circoncis Jésus, dont les disciples se recrutent non parmi les païens, mais parmi ceux des Juifs qui le reconnaissent comme le Fils de Dieu alors que d'autres Juifs s'y refusent. L'antagonisme entre les deux religions issues du même tronc est donc absolu, violent, et l'hostilité est réciproque. Pourtant, les actes d'animosité de l'Église contre une Synagogue alors très prosélyte s'estompent pour quasiment disparaître au IIe s. Tout change quand les chrétiens, qui étaient minoritaires dans les débuts largement païens du Bas-Empire, se retrouvent en position dominante. La simple opposition théologique se mue alors en véritable antijudaïsme doctrinaire qui, dans les pays où le christianisme structure la société, s'inscrit dans les pratiques et dans les lois.Au cœur de cet antisémitisme, une idée simple, promise à un grand avenir : les Juifs sont un peuple déicide. Ils sont tenus pour responsables de la mort du Fils de Dieu, Jésus. La crucifixion et le refus têtu de reconnaître en Jésus le Messie expliquent, sinon justifient, toutes les catastrophes et toutes les persécutions dont ils sont l'objet. Car l'immensité de la faute mérite une éternelle expiation. Faut-il pour autant faire disparaître le peuple juif de la Terre ? Les chrétiens d'alors ne le pensent pas, car le peuple juif est pour eux le peuple témoin. Pour Pascal – qui tient par ailleurs en grande estime le peuple juif et ses apports –, il est nécessaire que celui-ci subsiste pour « la preuve de Jésus Christ […] et qu'il soit misérable pour le prouver ». Bien plus tard toutefois, en 1962, l'historien Jules Isaac analysera le véritable système d'avilissement du peuple juif progressivement mis en place par l'Église catholique et qu'il appellera « l'enseignement du mépris ».De croisades en calomniesÀ partir du IVe s., les mesures législatives édictées par divers conciles se multiplient tandis que les Juifs sont victimes d'exactions variées. Mais c'est avec les croisades que la haine populaire se déchaîne. Elles visent à délivrer le tombeau du Christ des mains des « infidèles », c'est-à-dire des musulmans. Pourquoi aller combattre si loin les mahométans alors que d'autres infidèles, les Juifs, vivent parmi les chrétiens ? Au lendemain de la prédication de la première croisade par Urbain II, en 1096 au concile de Clermont, et malgré l'opposition et la protection de certains évêques, des foules populaires se déchaînent. Des Juifs sont massacrés dans presque toute la France mais surtout en Allemagne, dans la vallée du Rhin. Spire, Worms, Mayence, Trèves, Ratisbonne, Prague deviennent autant de lieux du triste martyrologe juif. Les massacres se répètent lors de la deuxième croisade (1146). En 1320, lors d'un mouvement d'insurrection populaire qui rappelait la croisade dite « des pastoureaux », plus de 100 communautés juives du sud-ouest de la France sont effacées de la carte.Le temps des croisades est aussi le temps de l'élaboration de calomnies et de légendes antisémites tenaces, puisqu'on les retrouve vivaces jusque dans la seconde moitié du XXe s. Elles s'articulent pour l'essentiel sur l'épisode de la Pâque qui précède la Passion. Le dernier repas de Jésus, la Cène pour les chrétiens, eut lieu lors du Seder, le repas de Pessah, qui, dans la tradition juive, célèbre la sortie d'Égypte. En 1144, à Norwick, en Angleterre, naît le fantasme du meurtre rituel (développé plus tard par Auguste Rohling) à l'occasion de la découverte de l'assassinat d'un jeune garçon la veille du Vendredi saint (jour de la Passion), assassinat dont les Juifs sont tenus pour responsables. Des affabulations similaires, avec quelques variantes, se multiplient en Angleterre, puis en France et en Allemagne et dans toute l'Europe chrétienne. Dans certains cas, l'enfant aurait été crucifié. Son sang serait indispensable à la fabrication du pain azyme que les Juifs consomment pendant la période de la Pâque. D'autres fois, c'est le cœur d'un enfant chrétien que les Juifs doivent se partager. Papes et empereurs ont beau juger ces accusations sans fondements, elles continuent leur chemin, un chemin marqué de violences meurtrières contre les Juifs. Ces derniers sont aussi accusés de profaner les hosties et, au début du XIVe s., d'empoisonner l'eau des puits. Quand la terrible Peste noire décime l'Europe, certains y voient le résultat d'un complot juif destiné à détruire la chrétienté. L'année 1348 est pour les Juifs une année particulièrement tragique. Ils sont massacrés par milliers à Strasbourg, Colmar, Worms… L'Europe est devenue, selon le titre d'une chronique, une « vallée de larmes ».C'est aussi au Moyen Âge que les Juifs se voient confinés dans certaines activités économiques interdites aux chrétiens, notamment le prêt d'argent, qui peut se transformer en usure, alors que d'autres activités, comme le métier des armes et le travail de la terre, leur sont interdites. Périodiquement, les Juifs sont expulsés. En France, par exemple, la grande expulsion est le fait de Philippe IV le Bel (1306). En Espagne, l'année même où Christophe Colomb découvre l'Amérique (1492), les Juifs doivent se convertir ou quitter le pays.À la veille de la Révolution française, les communautés juives de l'Europe chrétienne sont des communautés méprisées, humiliées, qui vivent dans des quartiers séparés, et parfois dans de véritables ghettos fermés.Des idées d'émancipation des Lumières à l'antisémitisme d'État du XIXe s.Au XVIIIe s. cependant, dans le sillage du mouvement des Lumières, se développe l'idée que les Juifs sont des hommes comme les autres, qu'ils doivent être émancipés, c'est-à-dire recevoir les droits de citoyens, ce qui permettrait tout à la fois leur « régénération » et leur assimilation. Des auteurs allemands et français expliquent que la situation d'abaissement moral dans laquelle se trouveraient les Juifs trouve son origine dans la place qui leur est faite dans la société. En 1787, l'Académie royale des arts et sciences de Metz met au concours la question suivante : « Est-il des moyens de rendre les Juifs plus utiles et plus heureux en France ? » L'abbé Grégoire remporte un des prix. Député à l'Assemblée nationale constituante, il sera l'un des artisans de la loi d'émancipation des Juifs du 27 septembre 1791. Le comte de Clermont-Tonnerre déclare pour sa part : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. » L'émancipation des Juifs de France est suivie par celle des Juifs d'autres pays d'Europe. À la fin du XIXe s., en Europe occidentale, les Juifs sont en principe des citoyens comme les autres, de confession mosaïque. C'est en Europe centrale et orientale que la situation des Juifs devient alors la plus précaire.Persécutés dans l'Occident chrétien, de nombreux Juifs venus d'Allemagne se sont installés au Moyen Âge plus à l'est, en Pologne. Jusqu'au XVIIe s., ils y vivent dans une tranquillité et une prospérité relatives. Pour les Juifs de Pologne, l'année terrible est 1648, celle du « Déluge ». Les massacres perpétrés alors par l'ataman Bogdan Chmielnicki et les Ukrainiens font des dizaines de milliers de morts et anéantissent des centaines de communautés. Avec les partages de la Pologne à la fin du XVIIIe s., l'Empire tsariste, qui jusqu'alors avait refusé les Juifs sur son territoire, devient le pays où résident près de la moitié des Juifs du monde. Ceux-ci sont alors confinés dans une large bande de territoire sur les marges occidentales du pays, qui constitue, de la Baltique à la mer Noire, une « zone de résidence ». La misère y est grande. Près d'un siècle après l'émancipation en Europe occidentale, certains Juifs caressent pourtant l'espoir d'une évolution similaire, que l'avènement du tsar libéral Alexandre II rend moins illusoire. Avec l'assassinat de celui-ci, en 1881, et le règne de tsars autocrates, ces espoirs sombrent. Les Juifs sont confrontés à un véritable antisémitisme d'État qui les étrangle économiquement. Périodiquement, ils sont victimes de vagues de pogroms (1881-1884 ; 1903-1906 ; et, dans la Pologne nouvellement indépendante, 1918-1921). Le mot « pogrom » d'origine russe, entré dans de nombreuses langues, signifie « dévastation ». Il désigne ces épisodes où la violence populaire, couverte, voire attisée par le pouvoir, se dirige contre les Juifs. Ces derniers sont alors victimes de pillages, de destructions, de viols, de meurtres. Deux millions de Juifs émigrent entre les années 1880 et la Grande Guerre, vers les États-Unis d'abord, terre de salut, mais aussi vers l'Amérique du Sud, la Palestine ou divers pays d'Europe occidentale, la France notamment. Pourtant, c'est dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale et la révolution bolchevique que les violences antijuives dans l'est de l'Europe changent d'échelle. Alors que les pogroms de l'époque tsariste faisaient des victimes par dizaines, les violences antijuives qui se déchaînent lors de la guerre civile, en Ukraine en particulier, dues pour l'essentiel aux armées blanches, font des dizaines de milliers de morts.Dans la seconde moitié du XIXe s., alors que l'antisémitisme chrétien est loin d'avoir disparu (une accusation de meurtre rituel sera à l'origine d'un pogrom dans la ville polonaise de Kielce en 1946, au lendemain de la Shoah), l'antisémitisme revêt un nouvel aspect. Pour certains, être juif ne ressortit plus à la seule religion, mais à la « race ». Nul juif ne peut à leurs yeux échapper à son destin, même par la conversion. Pour d'autres, dans la lignée de l'ouvrage de Karl Marx la Question juive, celle-ci est liée au capitalisme. L'antisémitisme en deviendrait quasiment « révolutionnaire » ! Parallèlement, alors que triomphe l'État-nation, les Juifs, pourtant citoyens, sont perçus par certains, du fait de leur prétendue « race », comme étrangers, inassimilables. Une nouvelle vision de l'histoire des hommes, dont le fondement est tout à la fois la hiérarchisation des races et leur évolution, voit ainsi le jour. Elle s'exprime notamment dans un ouvrage précurseur du Français Joseph Arthur de Gobineau, Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-1855), qui affirme que toutes les civilisations ont sombré dans la décadence du fait du mélange des « races ». Selon lui, à l'origine du monde, les races, inégales certes, sont néanmoins pures ; c'est le mélange, le métissage qui ravale les meilleures au rang des pires. Pour illustrer cette thèse, Gobineau prend l'exemple de la « race » aryenne. Partis de l'Asie centrale, ces « seigneurs » se sont dissous dans les flots des races des pays traversés.Quoique le génocide des Juifs fût connu de ses contemporains, la mesure de son ampleur ne fut prise que plus tard. Le génocide est très loin de constituer l'aspect principal du procès des grands criminels de guerre qui s'ouvre à Nuremberg en novembre 1945. La prise de conscience de ce que fut la destruction des Juifs d'Europe et de ses conséquences tout à la fois éthiques et politiques émergea lentement. La capture d'Adolf Eichmann et son procès à Jérusalem en 1961 marquèrent une étape. Dans les années 1970, la recherche historique sur la Shoah (mot hébreu signifiant « anéantissement »), tout comme les activités de mémoire – construction de mémoriaux, commémorations –, se développèrent de façon importante.C'est en Union soviétique que se développa, dès l'après-guerre, un nouveau courant antisémite, bien qu'un tiers des Juifs de ce pays eussent péri dans le génocide. Leur mémoire ne fut d'ailleurs jamais célébrée. À Babi Yar, quand un monument fut construit, le caractère juif des victimes ne fut même pas mentionné, comme d'ailleurs sur le mémorial international érigé à Birkenau, dans la Pologne alors démocratie populaire. Mais surtout, dès 1944, Staline relança la lutte contre le « nationalisme juif ». En 1948, le grand acteur Salomon Mikhoëls, qui avait présidé aux destinées du comité juif antifasciste, fut liquidé. Son assassinat fut suivi par l'arrestation de l'élite intellectuelle juive, surtout des écrivains de langue yiddish, qui avaient participé activement aux combats du comité. Le 12 août 1952, après un procès inique dont les minutes ont été publiées ces dernières années, 24 intellectuels juifs furent exécutés dans le plus grand secret. Dans le même temps, les milieux culturels étaient systématiquement épurés. L'apogée de cet antisémitisme fut le « complot des Blouses blanches », dont la thématique renoue avec celle, apparue au Moyen Âge, du complot de Juifs empoisonneurs. Des médecins, dont six Juifs, sont incarcérés : ils auraient tenté d'empoisonner Staline. Leur procès devait se tenir le 18 mars 1953, et donner le prétexte d'une vaste déportation de Juifs en Sibérie. La mort de Staline, le 5 mars, stoppa le processus.En U.R.S.S., l'antisémitisme fut affublé d'une nouvelle dénomination : celle d'« antisionisme ». L'antisionisme, c'est-à-dire l'opposition à la constitution d'un État juif en Palestine, est une constante chez Lénine, puis Staline. Pourtant, en 1947, à l'O.N.U., le ministre des Affaires étrangères Andreï Gromyko soutint la création de l'État d'Israël. Dès l'automne 1948, une inflexion dans la politique soviétique se faisait sentir. En octobre 1948, Golda Meir arrive à Moscou comme ambassadeur du jeune État hébreu. Elle assiste à un service à la grande synagogue de Moscou, où elle est ovationnée. De nombreuses demandes de visa sont alors déposées. Ceux qui avaient ainsi manifesté leur sympathie sont arrêtés. Ainsi, l'hostilité à l'État hébreu rejoint celle visant ceux des Soviétiques qui, d'une façon ou d'une autre, souhaitent rester juifs. Le pamphlet publié en 1977 par Valeri Emelianov, Qui se tient derrière Jimmy Carter et les eurocommunistes est représentatif de l'amalgame entre antisionisme et antisémitisme. Il dresse la liste de tous les Juifs ou francs-maçons appartenant au gouvernement Carter, auteurs et acteurs d'un complot visant à étrangler une Union soviétique qui doit se défendre par « la création d'un large front mondial antisémite et antimaçonnique sur le modèle des fronts antifascistes[…] Car la menace d'une domination mondiale du sionisme, fixée pour l'an 2000, pèse sur tous les goyim [non-Juifs, en hébreu], de la Terre ». Cet antisémitisme, note Poliakov, croît vers 1985-1990. Tout opposant – le savant Sakharov comme l'historien Youri Afanassiev– se voit stigmatisé comme russophobe et par conséquent comme juif… Avec l'avènement de Gorbatchev, puis avec la fin du communisme, l'émigration en Israël devient libre. Plusieurs centaines de milliers de Juifs quittent l'Union soviétique à cette époque. Naissent alors des organisations antisémites qui reprennent les thèmes de l'époque tsariste, les Protocoles des sages de Sion notamment.Antisionisme et antisémitismeLa question de l'État d'Israël et le problème palestinien, ainsi que le conflit d'Israël avec ses voisins du Proche-Orient, ont alimenté dans certains pays arabes une propagande où antisionisme et antisémitisme sont difficiles à distinguer.Depuis la Seconde Guerre mondiale et la Shoah d'ailleurs, le mot « sioniste » a fréquemment été utilisé à la place du mot « juif », et l'antisionisme de certains est souvent devenu un alibi recouvrant un antisémitisme traditionnel. Lors du procès Slansky, raconte Arthur London dans l'Aveu, chaque fois qu'un des personnages inculpés était juif, le policier notait « sioniste ». À London qui protestait, l'interrogateur répondit que dans une démocratie populaire, il était interdit de désigner quelqu'un comme juif. On le nommait donc « sioniste ». C'est aussi sous couvert d'antisionisme qu'est lancée en Pologne, en 1968, une campagne antisémite qui aboutit à chasser du pays les derniers Juifs.Comme le montre Meîr Waintrater, si l'on peut être hostile à la création d'un État juif (comme le fut d'ailleurs le Bund lui-même, parti socialiste juif), et critiquer la politique israélienne sans être pour autant antisémite, il n'est plus toujours question de cela dans « l'antisionisme actuel », devenu « une interprétation quasi magique où la mauvaise nature d'Israël découlerait de son identité juive. Figure qui, de manière spontanée, appelle sa symétrie. Les défauts des Juifs diasporiques sont illustrés, à l'intention du public, par les défauts – réels ou supposés– de l'État sioniste. Les calculs des uns se mêlent aux préjugés des autres, à la faveur d'une assimilation qui s'opère, à travers le mot “sionisme”, entre des éléments objectifs de la politique israélienne et des représentations relatives aux Juifs en général. L'antisémitisme ordinaire acquiert une dimension internationale, en même temps que les échos des polémiques proche-orientales s'enrichissent de thématiques antijuives. Le sionisme, en un mot, représente le mauvais Israël de ceux-ci et le mauvais Juif de ceux-là. » Ce procès fait au sionisme évoque pour Waintrater l'engouement passé pour les Protocoles des sages de Sion. « Dans les deux cas revient le nom de Sion, cette colline de Jérusalem qui représente la Ville sainte avec une nuance un peu mystique. Dans les deux cas aussi, l'évocation des Juifs est associée à de sombres fantasmes de domination. […] Les antisémites avérés ne sont pas seuls à nourrir d'obscures croyances sur un “gouvernement mondial” des Juifs, dont une connaissance même superficielle de la réalité juive suffirait pourtant à prouver l'inanité. La référence au sionisme servira d'exutoire à ces obsessions en leur donnant un habillage moderne et rationnel. Celui qui attaque aujourd'hui le sionisme – et non pas, par exemple, la politique du gouvernement israélien – vise par là une entité qu'il serait bien en peine d'identifier mais dont les contours coïncident étrangement avec ceux des Sages de Sion : judaïsme, conspiration, désir de conquête ».Révisonnisme et négationnismeUn courant né dès l'après-guerre est devenu présent dans le débat public à la fin des années 1970 : le « révisionnisme », ou « négationnisme », qui nie l'existence des chambres à gaz et, par là, le génocide des Juifs. Dès la fin de la guerre en effet, une extrême droite alors marginalisée tenta de délégitimiser le tribunal de Nuremberg et de minorer l'ampleur des crimes du nazisme. Maurice Bardèche publie en 1948 un ouvrage, Nuremberg ou la Terre promise : pour lui, le procès de Nuremberg est la vengeance des vainqueurs. Dénoncer les crimes nazis sert à masquer ceux des Alliés : Dresde ou Hiroshima. Pourtant, comme l'écrit Florent Brayard, « il aura fallu que ce discours fasse un improbable détour par Paul Rassinier, l'exact contraire en somme de ces fascistes nostalgiques, au moment où, en 1950, il écrivit le Mensonge d'Ulysse ». Socialiste, pacifiste, résistant, déporté, Rassinier (1906-1967) s'interrogea d'abord simplement sur l'existence des chambres à gaz : il n'en avait pas vu dans les camps qu'il avait connus – Buchenwald et Dora, où, effectivement, il n'y en eut point. Puis il douta de leur réalité dans ses ouvrages ultérieurs. « Son évolution politique […] en était alors à son terme : ses éditeurs, ses lecteurs et ses idées étaient d'extrême droite et, comme eux, il était antisémite. » Si Rassinier ne nie pas qu'il y eut des Juifs assassinés, son successeur, Robert Faurisson, faisant fi de toutes les preuves, archives et témoignages, affirme que « jamais Hitler n'a ordonné ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion ». En 1978, Faurisson réussit à publier une tribune libre dans le journal le Monde, et à provoquer un débat public. Dès lors, ceux que Pierre Vidal-Naquet nomme « les assassins de la mémoire » n'ont cessé, en France mais aussi aux États-Unis ou en Allemagne, de tenter d'agiter l'opinion, soutenus, parfois discrètement, par divers mouvements ou partis politiques.
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